« Le NTP défend un idéal de solidarité, de partage et de démocratisation culturelle »

« Le NTP défend un idéal de solidarité, de partage et de démocratisation culturelle »

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[ Interview ] Lazare Herson-Macarel : « Le NTP défend un idéal de solidarité, de partage et de démocratisation culturelle »

1 juillet 2013 Par Lucie Droga

Il y a quelques jours, on vous parlait de la troupe du Nouveau Théâtre Populaire, qui, depuis 2009, organise son festival dans le lieu enchanteur de Fontaine-Guérin : 14 comédiens, 11 jours de représentations dans une ambiance chaleureuse et magique. A l’occasion de cette cinquième édition, nous avons rencontré le comédien Lazare Herson-Macarel autour d’un café, à l’heure où le festival est menacé…

En guise d’introduction, peux-tu présenter le Nouveau Théâtre Populaire ?

En quelques mots, le festival du Nouveau Théâtre Populaire est un festival de théâtre créé en 2009 par une troupe de jeunes acteurs et qui a lieu depuis tous les étés. Le principe du NTP est simple : on souhaitait revenir à l’essentiel, avec un plateau en bois, un jardin à la campagne, des acteurs engagés et des grands poèmes dramatiques. Depuis la première édition, nous avons monté 18 grands spectacles classiques. C’est un festival qui défend un idéal à la fois de solidarité, de partage et de démocratisation culturelle, et qui s’est donné comme principe de pratiquer un tarif unique de 5 euros la place pour tous les spectateurs.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de monter le NTP ?

Il y a ce qu’on veut faire et ce qu’on peut faire : on savait qu’on voulait s’attaquer à de grands textes, faire nos armes et on s’est vite rendu compte que Fontaine-Guérin était le lieu idéal, encore plus dans le contexte actuel, où, si l’on met de côté quelques exceptions, pour nous autres jeunes compagnies de théâtre, les portes sont globalement closes. Alors, plutôt que d’attendre dehors devant la porte, on s’est dit qu’on allait créer notre lieu et très vite, on s’est aperçu que c’était possible. La deuxième chose, c’était cette idée de décentralisation : pour la troupe, on avait en tête que l’on fait réellement du théâtre quand on va jouer devant un public qui n’en a pas forcément l’habitude. C’est la rencontre avec le public qui nous a motivé : j’ai en mémoire une citation de Gabriel Garcia Marquez qui explique qu’un grand spectacle doit plaire au plus vieil intellectuel, à un enfant de six ans, à un sourd et un aveugle. Je pense qu’on partage cette idée là avec la troupe, et c’est pour cette raison qu’on s’est retrouvé ensemble au festival.

Justement pourquoi ce lieu, situé à Fontaine-Guérin ?

On voulait faire du théâtre à un endroit inattendu et il se trouve que depuis tout petit, je vais dans cette maison qui appartenait à ma grand-mère. C’est rapidement devenu le lieu idéal pour la construction de notre théâtre, à la fois calme et évocateur qui pouvait faire de nos représentations un moment magique : quand on se trouve au bord du plateau, on est cerné par quatre éléments ; la forêt, le cimetière, le clocher de l’église et le coucher de soleil. En fait, c’est le lieu parfait pour notre théâtre et c’est pour cela qu’après cinq ans de travaux et de succès relatif, on veut le défendre : la troupe comme les spectateurs s’y sont attaché et on veut qu’il pérenne, qu’il survive.

Le Nouveau Théâtre Populaire fait clairement référence au Théâtre National Populaire de Jean Vilar, mais pourquoi changer le « national » en « nouveau » ?

Précisément parce qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas national (rires) ! La responsabilité de la nation, en tant que structure, est à peu près égale à zéro pour l’instant. Le NTP c’est donc à la fois un hommage à la démarche de Jean Vilar et une critique implicite de cet univers où nous sommes obligés, pour le meilleur et pour le pire, d’inventer de nouveaux modes de productions. C’est ce qui est en train de se passer en ce moment : les acteurs et les spectateurs font alliance pour faire exister un théâtre à l’heure où il est difficile d’obtenir un soutien public, essentiellement à cause de la crise économique. Il y a peu, je suis allé à Fontaine-Guérin pour un rendez-vous avec les pouvoirs publics qu’on tente de mobilier. Comme à chaque fois, j’ai fait le tour du plateau en bois : il y avait une fleur qui avait poussé entre deux planches de bois. Cette image, que nous diffusons largement depuis, représente bien pourquoi on s’appelle « nouveau » car elle montre que même dans un contexte difficile où l’on tente de nous faire croire que rien n’est possible, avec beaucoup de travail et de volonté, on arrive malgré tout à fonder quelque chose. C’est la raison pour laquelle on ne veut pas abandonner cette aventure en si bon chemin.

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Tout à l’heure tu parlais de démocratisation : comment cette idée se concrétise dans la pratique ?

Il y a plusieurs choses : d’abord, le chiffre symbolique, ce fameux tarif à 5 euros qui permet à des gens de venir voir trois fois nos spectacles, ce qui serait impossible avec un tarif plus élevé. A ma connaissance, c’est même le seul endroit où on peut assister à des représentations qui mettent en scène 14 acteurs professionnels en ayant payé 5 euros. C’est ce qui permet aux spectateurs de venir au théâtre en famille pour 25 euros ou, pour d’autres, de faire cette démarche d’aller au théâtre, alors qu’ils n’en ont pas forcément l’habitude. L’autre choix qu’on fait et qui est pour nous intimement lié à l’idée de démocratisation culturelle, c’est celui de « l’excellence » :  une partie de la troupe est constituée d’acteurs professionnels (ndlr : tous les acteurs sont issus du Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris, des cours Florent ou du Théâtre National de Strasbourg ) qui partagent un idéal commun, celui de la pratique, de leur engagement sur le plateau et de la philosophie du NTP. Il y a aussi le choix du répertoire : on choisit des  œuvres qui ont toutes en commun de mettre en scène des visions de l’être humain ambitieuses, larges et qui sont donc susceptibles de parler à tout le monde. Ces trois choses-là, le tarif volontairement bas, l’engagement des acteurs et le choix d’un répertoire réputé difficile, mais tout simplement parce qu’il est génial, sont les éléments les plus importants de ce qui, pour nous, représente la démocratisation culturelle. C’est ce qu’on essaye de mettre en pratique avec ce festival.

Vous mettez aussi en scène des pièces pour le jeune public : est-ce parce que vous souhaitez les sensibiliser ou parce que vous considérez que les enfants ont peut-être un rapport plus direct avec le théâtre ?

Quand on dit qu’on veut faire du théâtre pour tout le monde, il faut commencer par les enfants. Plus profondément je crois que même si on est obligé de faire une différence entre spectacle « jeune public » et « tout public », la programmation jeune public est loin d’être un détail. Tous les spectacles qu’on monte sont faits dans cette idée qu’il faut que ça puisse plaire, parler, à un grand intellectuel comme à un enfant de six ans. Je pense qu’on apprend autant notre métier en faisant du spectacle jeune public qu’en faisant les grands spectacles du soir. Il y a une sorte de continuité entre les deux : pour l’anecdote, nous avons reçu le message d’une spectatrice qui nous disait avoir tellement aimé les spectacles du soir, qu’elle et son mari, tous les deux retraités, étaient venus à 11 h du matin pour assister aux spectacles pour enfants et qu’ils s’étaient régalés. J’aime assez l’idée que les enfants puissent voir des spectacles tout public et que leurs parents assistent aux spectacles jeunes public. Avec la troupe, on travaille l’engagement de l’acteur qui rend évident le rapport au spectacle. Nous sommes loin de cette idée de calibrer les spectacles et plus encore, on rejette le mot « cible » qui accourt dans l’institution théâtrale aujourd’hui.

Pour avoir vu Une histoire de paradis l’année dernière, c’est vrai que le public était composé aussi bien d’enfants que de parents !

C’est drôle, ce spectacle particulièrement est une réussite car les enfants riaient et les parents pleuraient… Ce qui nous anime, dans les spectacles dits pour enfants, c’est le fait de s’adresser à l’adulte qui est en chacun d’eux, de leur parler de ce qu’on ne leur parle pas d’habitude et d’aborder les grands sujets. Pour ça, le NTP est l’endroit rêvé pour développer des visions ambitieuses, pas moins le matin que le soir.

Le public vous est-il fidèle, et d’où vient-il ?

Plus que fidèle, il est en expansion : pour la toute première édition, 700 spectateurs sont venus et pour la quatrième, celle de l’année dernière, nous en avons reçu 3 700. Si le public est en constante augmentation c’est notamment parce que l’aventure du NTP est suffisamment insolite et défendue pour que le bouche à oreille fonctionne, au-delà du premier cercle public. Au départ, notre public venait d’un rayon d’une dizaine de kilomètres : l’année dernière, on a vu des spectateurs qui, sans nous connaître, arrivaient de Paris pour assister à la représentation de Ruy Blas. Depuis l’affaire de la souscription, beaucoup de gens ont entendu parler du NTP : aujourd’hui on peut dire que c’est une aventure à la croisée de la petite et de la grande histoire. Pour nous, l’histoire intime née dans un jardin dans un petit village, est en même temps, une aventure qui voudrait être l’invention d’un nouveau mode d’existence pour les jeunes artistes.

Pour cette nouvelle édition, vous avez choisi des textes un peu « osés », que peu de gens connaissent et qui peuvent même sembler difficiles…

On ne sait pas vraiment ce que sont des textes faciles ou difficiles… La première année, quand on a monté Roméo et Juliette et Le Misanthrope, certains spectateurs nous ont dit que c’était loin d’être des textes faciles. Nous, on aime bien répondre qu’un chef d’œuvre, c’est toujours facile ! Les grands poètes ne sont pas des obstacles, mais bien des alliés. Cette année, nous avons choisi de mettre en scène Le Cercle de craie caucasien de Brecht et Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, des créations proches de nous dans le temps et qui ont donc moins été agréées comme étant de grands classiques. Ce sont mêmes des pièces suffisamment récentes pour être résolument modernes et générer des polémiques. Mais c’est peut-être une évolution importante de notre mission : après quatre années avec un public fidèle et de plus en plus nombreux, nous avons considéré qu’on pouvait faire découvrir des œuvres que les gens connaissent moins largement. Simplement parce que ces auteurs sont des poètes qui ont besoin d’être plus défendus que Shakespeare ou Hugo. Il s’agit d’un pari, voir si le public est suffisamment fidèle pour nous suivre à la découverte de ces auteurs : comme le dit St Juste dans La Mort de Danton « Osez ! Danton ne nous aura pas appris ce mot pour rien ! ». Notre travail consiste donc à renouveler toujours l’audace et à lutter contre les idées reçues selon lesquelles le public a besoin de pièces « faciles ». Et on ne peut lutter contre cette idée qu’avec l’aide des spectateurs : nous sommes satisfaits quand ils se sentent touchés parce qu’on les a honoré par la complexité d’un texte de Shakespeare… Qui n’est pas une difficulté, mais simplement du génie !

C’est donc un peu une mise en danger, et pour la troupe et pour le public …

Oui,  il y a une sorte de pari, mais qui est censé être le garant de notre vitalité. C’est une manière de repousser les limites de ce qu’on a pu faire jusque-là. Pour aller à la rencontre du public, nous avons monté des pièces importantes, tellement importantes qu’elles sont unanimement reconnues. Aujourd’hui, on s’attache à une chose passionnante : mettre en scène des œuvres issues du XX ème siècle et qui sont pour beaucoup encore, à découvrir.

Où en est cette affaire de souscription ?

Le résumé de Toutelaculture explique très bien la situation paradoxale dans laquelle nous sommes aujourd’hui, à la fois en pleine expansion et menacés de disparition. Ce festival n’aura jamais pu voir le jour sans l’accord de ma grand-mère, Marie-Claude Herson-Macarel ; suite à son décès en octobre dernier, ses quatre enfants doivent revendre la maison à Fontaine-Guérin. Or, cette maison a toujours accueilli le festival et est devenue+, au fil des ans, notre théâtre idéal. Pour ne pas renoncer à cette aventure, nous souhaitons nous porter acquéreurs de la maison pour que le NTP devienne propriétaire et qu’il puisse développer une activité à l’année, rendre permanent ce lien très fort qui s’est tissé entre la troupe et le public. C’est pourquoi nous avons lancé une grande souscription en avril dernier avec l’objectif de trouver un apport initial de 50 000 euros à la fin du festival. Cette année, l’édition aura lieu entre le 12 et le 25 mais avant le 25, nous ne saurons pas si nous sommes en mesure d’acheter la maison et donc, de sauver le festival. Une fois de plus, c’est une expérience ou le public répond présent, ce qui nous donne une foi en notre travail, en sa nécessité et son exception. Quand le pouvoir public fait défaut, c’est magique de voir autant de gens se mobiliser pour permettre au NTP d’exister… On garde espoir grâce à toutes les personnes qui croient en ce genre d’aventure !